Ma grand-mère maternelle s’appelle « Mémé ». C’est comme ça qu’on appelle les grands-mères sur la Côte-Nord. Cette femme en or fête ses 96 printemps cette année. Elle en a vécu des événements, des deuils, des douleurs, des joies, des naissances et des découvertes. Laissez-moi vous la présenter.

Aujourd’hui

La dernière fois que je l’ai vue, mon plus vieux allait avoir 1 an. J’étais allée la voir à l’hôpital. Là-bas, ils ont un étage pour les soins longue durée. Un genre de CHSLD à même l’hôpital, qui n’en est plus vraiment un. Je dis qu’il allait avoir 1 an, mais en fait, il allait avoir 11 mois. Je m’en rappelle aussi précisément parce que j’ai fais une fausse couche chez-elle.

Je n’avais que 6, presque 7 semaines de faites. Mais cette grossesse interrompue m’a vraiment brisée. Dans les heures qui ont suivi, j’allais la visiter à sa chambre. Je me demandais si j’allais lui en parler. Quand tu vas voir une personne âgée qui est en soin longue durée, tu te dis parfois que tu vas éviter des sujets délicats. Mais finalement je l’ai fait, je lui ai raconté que ce que je venais de vivre.

Elle m’a serré la main doucement, sans trop parler. Elle est douce ma mémé. Elle en a vu d’autres aussi. Elle m’a réconfortée à sa manière, tout en douceur et en peu de mots.

Je ne suis pas retournée la voir depuis. Sa santé se détériore tranquillement. Aller chez elle peut prendre 15 heures de routes avec les enfants. C’est loin. Mes enfants sont agités. Je ne crois pas que ce serait très bon pour sa santé fragile de nous recevoir. Mais je pense à elle, souvent, cette femme pleine de force et de douceur.

Pain et confiture

La femme

Elle a vécu comme les saisons, comme les marées, c’était comme ça dans le temps. Surtout dans un endroit aussi isolé que celui-là. Les seuls liens avec le reste de la province étaient le bateau et l’avion. Les gens n’avaient d’autres choix que de prendre leur temps, vivre au rythme des cargaisons, des bancs de poissons, des couchers de soleil et des étés, qui étaient si courts.

Les hommes allaient pêcher, les femmes restaient à la maison pour élever les enfants. C’était comme ça dans le temps.

Les familles étaient nombreuses, mais le village entier étaient là pour aider. Les gens se souciaient de donner un coup de main comme ils pouvaient. À elle seule, elle en a élevé 15! 10 garçons et 5 filles! Ça rempli une maison, ça rempli une vie, ça rempli un cœur ça 15 enfants!

Puis le village est devenu plus grand, une mine a été construite dans les années 50. Puis une route dans les années 80. Tout ne reposait plus sur l’eau et le vent, mais le rythme est resté.

Les étés

À chaque été, elle devait nous raconter ses petites histoires. Les mêmes histoires d’une année à l’autre, mais c’était ça qui faisait que c’était magique. Chaque événement prenait l’allure d’un conte. Elle avait un talent de conteuse et un enthousiasme contagieux. Elle aurait pu écrire des livres, mémé, elle a vécu tellement de choses!

Quand j’étais jeune, on allait passer tous nos étés chez elle. C’était une fête à chaque fois. D’abord, on avait 12 heures de route à faire pour se rendre jusque là et ensuite, on était tellement bien chez ma grand-mère.

Elle avait ses petites routines. Elle était une femme fière, toujours bien mise et prête à accueillir. Sa maison sentait bon le pain frais et la confiture. La confiture de plaquebières et de berries, des petits fruits qu’on trouve là-bas, sur la Côte-Nord. Ma grand-mère cuisinait tout le temps. Ça faisait partie d’elle. 15 enfants, ça doit manger! Elle avait de la difficulté à prendre un rythme plus lent, même si la maison était rendue vide entre les visites. Elle avait toujours quelque chose à faire. Les seuls moments où je la voyais s’asseoir c’était pour prendre un petit moment pour regarder Top Modèle en après-midi ou Colombo en soirée en faisant du tricot.

Tricot

Noël

Comme elle habitait loin, nous n’allions pas la voir aux Fêtes. Mais elle nous envoyait toujours des cadeaux par la poste. Même si nous savions ce qu’on allait y retrouver, je me rappelle bien l’excitation qu’on avait quand on allait ouvrir le paquet. La plupart du temps, la boite était une boite de biscuits soda ou une boite de Corn Flakes (c’était la sorte préférée de mon grand-père). À l’intérieur, on trouvait toujours un pyjama. À chaque année! C’était notre pyjama de Noël. Du bonheur en boite!

Quand on a été plus vieux, la tradition s’est terminée. On s’imagine bien qu’avec 15 enfants, ça lui faisait beaucoup trop de petits enfants à gâter. Des tonnes et des tonnes de cadeaux à poster!

Les histoires

Ma grand-mère a ses croyances et ses interprétations. À savoir ce qui est réellement arrivé, c’est parfois difficile. C’est une femme de tête! Elle est déterminée et forte.

Les miracles

Mémé est une grande croyante. Elle a même été religieuse pendant un certain temps. Puis elle est tombée malade. Elle sentait l’appel, mais sa santé lui a fait renoncer. Quand elle est finalement sortie de la congrégation, sa santé est devenue bonne. Pour elle, c’était un signe qu’elle n’était pas faite pour ça. Un signe évident même, parce qu’elle a rencontré son mari après ça.

Il y en avait plusieurs des histoires de ce genre, mais celle qui revenait le plus souvent était celle du crucifix. Mémé avait un crucifix en plastique. C’était aussi un chandelier. Un jour, un de ses fils devait se faire opérer pour une jambe, suite à un accident de moto. Quand elle a voulu prier pour lui, elle a allumé le lampion sous le crucifix. Après quelques minutes, les jambes de Jésus ont plié vers le haut. Ce soir-là, elle a reçu un appel pour dire que l’opération s’était bien déroulée. Mon oncle peut peut maintenant marcher. Pour elle, c’est la preuve que son lampion, combiné à ses prières ont fait leur œuvre. C’est un miracle.

La rencontre avec Pépé

Elle était assez discrète sur ses histoires de cœur. C’était l’époque. Elle a quand même raconté quelques fois qu’elle avait remarqué mon grand-père a l’occasion avant de commencer à le fréquenter. Elle trouvait qu’il ressemblait à un acteur. C’est vrai que c’était un bel homme. Une chose qui m’a marquée dans son histoire, c’est quand elle a ajouté qu’il avait de belles oreilles. Ça m’avait fait sourire. Juste d’y repenser, j’en souris encore. Dans ma catégorie « standards de beauté », les oreilles n’est pas un trait qui me marque particulièrement.

marée

Mémé est une grande dame

Mémé, c’est la femme qui a montré à ma mère à soutenir sa famille coute que coute. Elle a montré à 10 garçons à devenir des hommes bons et bienveillants. Elle a été forte et douce, tout à la fois, sans compromis. Son histoire est celle de ma famille, elle est le pilier des miens. Elle a et aura toujours une place toute spéciale dans mon cœur.

Mémé a vécu comme les saisons et comme les marées. Elle célèbre cette année son 96e printemps, je lui souhaite une année remplie de douceur et d’amour, à son image.