À travers les années, j’ai pris conscience que de m’ouvrir sur ma propre santé mentale était un moyen d’aider les autres à faire la même chose. Au Québec, mais aussi ailleurs dans le monde, les problèmes de santé mentale sont encore beaucoup trop cachés, jugé et minimisés pour que ce soit aidant.
Parfois, des gens me disent que je suis courageuse d’en parler, mais ça ne devrait pas. On ne dit jamais à quelqu’un qui a une pierre au rein qu’il est courageux d’en parler. Pas que ce soit tout à fait comparable comme souffrance, ça devrait être tout aussi simple de nommer les choses.
Tout ça m’amène au sujet de ce billet.
Aujourd’hui, je veux parler de tabous qui existent encore. Je veux aborder des situations blessantes auxquelles les personnes ayant des problèmes de santé mentale font face en ouvrant la porte à la discussion, à l’écoute et à la prise de conscience collective sur ce sujet. Je vous inviterai donc à partager vos exemples en commentaires et à faire circuler ce billet si vous croyez que ça peut aider d’autres personnes. Les exemples de ce texte sont des situations qui me sont réellement arrivées à travers les années. C’est d’ailleurs pour cette raison que je ne parle que d’anxiété, de dépression et de burnout puisque c’est ce que je connais. L’éventail des problèmes de santé mentale est très grand. Je suis certaine que vous pouvez apporter votre couleur en ajoutant des commentaires en lien avec ce qui vous touche directement.
La culture de la force et de la faiblesse
Quand j’étais jeune, sans que ce soit nommé spécifiquement, il y avait une sensation omniprésente que la prise de médication était un signe de faiblesse. D’autant plus si cette médication était pour soigner une dépression ou contrôler l’anxiété.
Ces non-dits et cette culture étaient bien imprégnée. Pas nécessairement à la maison, mais dans mon entourage immédiat.
La façon dont on parlait d’un voisin, d’une tante, c’était subtil et s’ancrait sournoisement en moi. Au point où, adulte, je ressentais aussi que les gens vivant avec des problèmes de santé mentale étaient faibles alors que moi, j’étais forte, puisque je n’avais pas eu besoin de psychothérapie et de médication pour me relever du décès de mon père. Puis un jour, j’ai réalisé que j’avais besoin d’aide, de suivis psychologiques et j’ai dû me rendre à l’évidence que je devais aussi prendre de la médication pour m’en sortir. Il m’a fallu des mois avant même de l’accepter et de passer à l’action.
Présente partout
Cette culture existe ailleurs, dans d’autres familles, chez d’autres personnes. Je la ressens au cours de certaines conversations.
Elle existe dans les non-dits et dans les commentaires « violents » sur les réseaux sociaux utilisant les problèmes de santé mentale comme des mots insultants.
Je sais qu’on ne guérit jamais pleinement de cette culture parce qu’elle est réellement ancrée depuis longtemps, mais on change quand on y est confronté.
Pour une personne, comme moi, qui a toujours eu l’impression que c’était faible d’aller chercher de l’aide, les débats intérieurs qu’il y avait entre « consulter » et m’arranger seule, « me médicamenter » et me relever seule étaient absolument déchirants et m’ont projeté encore plus loin dans ma douleur.
Avoir un problème lié à la santé mentale n’est ni un signe de faiblesse, ni une indication qu’on vaut moins. Au même titre qu’un problème de cœur ou de rein n’est pas une indication de la valeur de la personne. On ne traitera jamais quelqu’un de « cardiaque » sur les réseaux sociaux. On ne dira jamais qu’une personne est « faible » parce qu’il développe une pierre au rein. Ça devrait être la même chose pour l’anxiété et la dépression.
Tout le monde passe par là
J’avais écrit un billet sur le sujet il y a déjà plusieurs mois. Pendant une conversation avec une voisine, alors que je nommais mon anxiété, elle a répondu « who doesn’t, right? ». Comme si tout le monde souffrait d’anxiété.
C’est peut-être moins agressif que la culture de tabou, mais le fait de minimiser la souffrance de quelqu’un en disant que « tout le monde » vit ça, ce n’est pas plus aidant. C’est comme enlever de la valeur à la souffrance de quelqu’un.
Si un autre humain raconte son cancer et tous les effets secondaires de sa chimiothérapie, dire « Oh! Moi aussi j’ai eu mal au cœur et je me sentais faible la semaine passée », ce n’est pas vraiment faire preuve d’écoute et d’empathie. La même règle devrait s’appliquer aux burnouts, dépressions, etc. Non, tout le monde ne passe pas par là.
Je commençais à me porter mieux. J’étais sortie des profondeurs des abysses et je remontais tranquillement pour reprendre mon souffle. Je me sentais plus forte et j’ai commencé à nommer mes émotions sur le blogue. D’abord sans trop d’attentes, mais toujours avec l’idée de faire une différence. Pour moi, c’était l’opportunité de donner un sens à ce que je venais de traverser. – Karine Guy, Vulnérabilité : Et si ma force c’était d’être fragile?
Le « non support » en milieu de travail
Ma première dépression diagnostiquée était en lien avec un accident de travail. Enseignante, j’ai été bousculée par une élève et pour ne pas tomber par terre, je me suis retenue sur la seule chose à ma disposition : la poignée de porte derrière moi. Mon pouce droit s’est disloqué. Du jour au lendemain, j’étais en arrêt de travail, je vivais avec le choc d’une agression physique par une élève, je ressentais une douleur constante due à ma blessure et je ne pouvais plus réaliser mes tâches quotidiennes sans faire des acrobaties parce que droitière. Ça a été extrêmement difficile.
Seule chez moi, sous médication pour contrôler la douleur, malgré le billet du médecin stipulant que j’étais incapable d’accomplir mes tâches au travail sans des traitements adéquat, une responsable des ressources humaines m’appelait à chaque semaine pour me demander si j’étais prête à retourner travailler. Ma blessure dépassait grandement mes ligaments déchirés. J’étais en détresse psychologique et ces appels me minaient complètement. Je ressentais chaque conversation avec elle comme une attaque supplémentaire.
Tracer la ligne
Un jour, alors que je prenais encore du Dilodid pour combattre la douleur, on m’a demandé de me présenter à la Commission scolaire pour que leur propre médecin m’évalue. Heureusement, le médecin a bien vu que je n’étais pas en mesure de me présenter devant une classe de secondaire 3 dans un état physique et psychologique comme ça et j’ai pu retourner à mes traitements de psychothérapie, physiothérapie et ergothérapie pour revenir la « moi d’avant ».
Lors du retour vers l’école quelques mois plus tard, j’ai fait des crises de panique dans l’autobus. C’est à ce moment-là que j’ai compris que je devais aussi opter pour de la médication pour calmer mon anxiété. Ce n’était pas suffisant d’être physiquement prête.
Sans l’intervention de ce médecin compréhensif, la lettre de mon médecin traitant n’aurait pas été suffisante.
La personne responsable des accidents de travail à la Commission Scolaire à ce moment là ne faisait preuve d’aucune empathie. Ses interventions, elles-mêmes, avaient un effet destructeur sur moi.
Dans un autre contexte, j’ai aussi eu des discussion avec des employés qui se plaignaient d’avoir à gérer une tâche accrue parce qu’un.e de leurs collègues était en arrêt pour burnout. Des retours suivis de départs de façon répétée parce que l’employé.e malade était revenu.e trop tôt créaient des tensions au sein de l’équipe et augmentait l’incompréhension face aux problèmes de santé mentale. Non, la ligne entre « aller bien » et « être encore trop fragile » n’est pas toujours aussi facile à tracer qu’on l’aimerait.
C’est à cause de tes habitudes de vie
Même s’il existe un lien indéniable entre de saines habitudes de vie (exercice physique, méditation, saine alimentation, etc.) et la bonne santé mentale, avoir un problème de santé mentale n’est pas un indicateur de mauvaises habitudes de vie.
Une personne en santé physique peut développer un problème de santé mentale. Faire de l’exercice peut l’aider dans une certaine mesure, mais ce n’est pas nécessairement suffisant.
Pour avoir vécu des épisodes dépressifs, même pendant des périodes où je prenais vraiment soin de ma santé, je crois que c’est utopique de penser que quelqu’un vivant une dépression puisse aller marcher à chaque jour quand le simple fait de se lever est un effort. On oublie de manger, de prendre sa douche, répondre à ses propres besoins de base représente un effort. Tout est un effort.
J’ai intégré de meilleures routines quotidiennes depuis quelques années. Je fais de la méditation, j’ai mes petits rituels à moi, j’aime me grounder dehors. Tout ça est très aidant, et très facile à maintenir dans un contexte « normal ». En périodes où le stress est plus grand (je pense à la situation de la Covid-19, par exemple), il est facile de sauter des sessions, des moments avec soi, et c’est rapidement que l’anxiété revient.
Tout est interrelié.
Un changement dans les circonstances aura un effet rapide sur l’état de la santé mentale et, par ricochet, sur les habitudes de vie.
À vous
Il y a tant à dire sur la santé mentale que je prévois faire d’autres billets prochainement sur le sujet.
Avez-vous des exemples de situations où les tabous et préjugés face aux problèmes de santé mentale étaient évident? Vous êtes vous senties blessées par des situations, des propos en lien avec votre santé mentale?
J’ai envie d’en discuter avec vous. N’hésitez pas à commenter ici, à utiliser le formulaire de contact pour me contacter par courriel et/ou à partager ce billet via vos médias sociaux pour qu’il fasse parler. C’est en s’ouvrant qu’on changera les choses.
J’ai vu quelqu’un très proche de moi qui a vécu aussi le non support, non pas en milieu de travail, mais de la part des assurances qui ne voulaient pas payer l’arrêt de travail demandé pour le médecin. La personne en question faisait de l’anxiété sévère, avec des crises de panique, incapable de fonctionner. Pendant 10 mois cette personne n’a reçu aucun paiement de la part des assurances, sans travailler, heureusement que la personne a eu du support financier de sa famille, autrement, ça aurait été quoi, la rue? Les assurances sont supposées être là pour justement assurer tes arrières, mais te mettent carrément dans la merde, parce que la santé mentale, pour eux, n’est pas justifiable.
Oui, certains assureurs sont « frileux » avec des diagnostics liés à la santé mentale. On dirait qu’ils ne croient pas aux diagnostics. C’est troublant.
Ce que tu nommes arrive malheureusement souvent. Et, oui, la rue devient la seule option pour certains. Je ne peux même pas m’imaginer à quel point ces gens se retrouvent dévastés et démunis.
Je suis tellement d’accord avec toi! Effectivement, les gens font tellement une différenciation entre les troubles de santé physique et ceux de santé mentale! Personne n’est gêné de dire qu’il prend de l’insuline parce qu’il est diabétique mais c’est moins bien accepté de dire qu’on prend des antidépresseurs et des anxiolytiques… Si on est malade physiquement, on est malchanceux; si on a un trouble mental, c’est presque comme si c’etait notre faute! Il reste une connotation négative aux « pilules pour les nerfs » et aux thérapies. C’est associé à la faiblesse; et y a-t-il quelque chose de pire que de se faire dire « Ben voyons, prend sur toi! »…
Je crois, comme toi, qu’en parler est une excellente façon de faire tomber les tabous. C’est pour ça que je n’hésite jamais à parler de mon trouble panique. Je veux montrer que ça peut arriver à tout le monde.
Merci pour ton commentaire Isabelle. C’est vrai que c’est important de le nommer. Bravo de t’ouvrir sur le trouble panique. C’est vraiment méconnu encore.
« Ben voyons, prends sur toi! » C’est tellement le contraire d’aidant. Un énorme manque d’empathie.