Julie Bergeron est une maman que je connais virtuellement depuis environ 5 ans. Nous nous sommes croisées sur un groupe de parents d’enfants vivant avec la trisomie 21. Sa personnalité rayonnante et les anecdotes en lien avec sa belle cocotte m’ont beaucoup inspirée.
Julie est une femme à l’écoute et remplie de stratégies fantastiques. Sa bienveillance envers sa fille est hors norme. Et elle la transpose maintenant dans la communauté, dans son implication auprès d’un organisme de la Capitale Nationale.
J’ai eu envie de vous permettre d’aller vous aussi à sa rencontre en cette veille de la Journée Mondiale de la Trisomie 21.
D’abord, bonjour. C’est un peu étrange de faire ça comme ça puisque c’est une entrevue par courriel, mais j’ai envie de te demander de te présenter en quelques mots.
En fait, cette entrevue, c’est facilitant dans mon quotidien et ça nous permet d’être proche malgré la distance. C’est une excellente idée!
Originaire de la ville de Québec, je vis dans un quartier comme dans Édouard aux mains d’argent. Ben oui, des maisons toutes pareilles, mais que mon amoureux et moi avons tout de même construit à deux.
Quand j’étais jeune, on m’avait dit que j’étais une enfant téflon-chevalier, ce que j’ai étrangement toujours pris pour un compliment! Hahaha! C’était de la psychologie des années 90, ça remonte à loin!
Aujourd’hui, je peux dire que j’ai le goût d’être moi-même, tout simplement, avec mes défauts et mes qualités. J’aime être libre, dans ma façon de penser, d’être, de travailler.
Je suis passionnée de l’humain, de l’art sous toutes ses formes et du chocolat, je me questionne tout le temps, je suis dure de la feuille et je n’aime pas les comédies musicales.
Je suis la maman la plus chanceuse de l’univers auprès de ma belle ma Charlie d’Amériques, 11 ans, qui vit avec la trisomie 21 et j’ai aussi un bel amour, une famille aimante et des amies de grandes qualités.
Savoure chaque instant sans te presser de passer à la prochaine étape, le temps passe si vite ! – Julie Bergeron en parlant à la Julie « d’avant »
Dans les dernières années, tu as fait un changement de carrière. Tu mets maintenant ta créativité et ta bienveillance en œuvre auprès de l’AISQ. Peux-tu parler de ce qui t’a poussé vers cette transition?
Auparavant, je travaillais en présentation visuelle chez Simons. J’ai fait ce métier pendant 11 belles années. Le côté artistique m’interpellait beaucoup, mais après un temps, j’ai réalisé que malgré les saisons, les collections et les années qui passaient, ça revenait toujours au même.
Lorsque Charlie est née, quelque chose s’est réveillé au fond de moi. J’avais besoin de plus de défi.
À la même époque, j’ai commencé à m’impliquer bénévolement au niveau de plusieurs organisations en lien avec la déficience intellectuelle. J’avais un énorme appétit pour tout ce qui touchait le sujet. De plus en plus, je m’épanouissais et je sentais que je pouvais faire une différence dans ma propre vie comme dans celles des autres. Apprendre et construire, c’est ce que j’aime le plus faire!
Alors, de fil en aiguille, le bénévolat a pris tellement de place dans ma tête que je me suis désintéressée de mon travail, qui me paraissait bien vide de sens en regard de milieu de la recherche et du communautaire.
Comme j’étais déjà sur le CA de l’AISQ depuis quelques années, dès que le poste d’agente d’information s’est ouvert, j’ai sauté sur l’occasion et j’ai tenté ma chance, non sans crainte.
Depuis, ça fait trois ans que je carbure à la passion, me sentant sur mon X, si tu me permets l’expression. Ce que j’aime le plus, c’est que chaque jour est différent, j’apprends tout le temps, je réalise des projets qui font du sens pour plein de gens et pour moi et surtout, je rencontre des humains formidables.
Quel est le rôle de l’AISQ, concrètement?
L’AISQ a pour mission de favoriser le mieux-être et la qualité de vie des personnes vivant avec une déficience intellectuelle et de leurs proches, de veiller à leurs intérêts et au respect de leurs droits, ainsi que de créer ou de participer à la création de milieux de vie répondant à leurs besoins.
Nous avons deux conseillères en soutien à la personne et à la famille, secteur jeunesse et adulte, qui offrent des services conseils, du soutien et de l’accompagnement. Par exemple, elles peuvent accompagner une famille dans un plan d’intervention, les aider à avoir les services dont elles ont besoin dans la communauté, offrir des conseils aux parents favoriser le développement de l’enfant ou pour l’autonomie de leurs jeunes adultes, soutenir les personnes dans leur transition résidentielle ou en emploi, etc.
Nous développons aussi des projets majeurs en lien avec les besoins exprimés par nos membres. Notre premier projet résidentiel, APPART’enance, verra d’ailleurs le jour au courant de la prochaine année.
Pour les personnes vivants avec une déficience intellectuelle et leur entourage
Nous travaillons sur des ateliers adressés aux personnes vivant avec une déficience intellectuelle, leur famille et les intervenants pour prévenir les violences et les abus sexuels avec Viol-secours.
L’accès aux services étant une préoccupation, nous travaillons sur un programme d’orthophonie communautaire pour outiller les familles afin qu’elle puisse stimuler le langage de leur enfant au quotidien.
Nous offrons des ateliers pour la fratrie, des présentations pour faire connaitre leurs droits aux personnes, nous sensibilisons les jeunes et moins jeunes dans les établissements scolaires et dans les entreprises, bref, nous sommes très actifs.
La collaboration et la complémentarité étant au cœur de nos actions, nous pouvons aussi dire que nous rassemblons les partenaires dans notre vaste région de la Capitale-Nationale, comme lors de la coordination de la Semaine québécoise de la déficience intellectuelle.
La participation et l’inclusion sociale pour tous au cœur d’une société bienveillante, voilà notre vision.
On entend de plus en plus parler de différence dans les médias, notamment d’autisme, mais aussi de déficience intellectuelle, de neurodiversité, de neuroinclusion, etc. Qu’est-ce qui n’a jamais été dit sur la différence et qui mériterait de l’être?
J’ai parfois l’impression qu’on mise beaucoup sur cette différence, sur ce qui nous rend tous unique et parfois, ça peut aussi nous nuire.
Je m’explique, nous avons tous ce point commun d’être humain, tout simplement, avec nos besoins et nos émotions. Là, il y a quelque chose d’énorme qui nous rassemble, mais on passe trop souvent à côté.
Tous humains
Lorsque je regarde Autiste bientôt majeur, je me reconnais, lorsque j’écoute Briser le code, je me reconnais, lorsque je parle avec une personne se déplaçant en fauteuil roulant, je me reconnais, quand je vois la mère au bout du rouleau avec son enfant en crise et son panier à moitié vide, je me reconnais aussi.
J’ai le goût d’être bienveillante, j’ai le goût que toute ma communauté, au lieu de juger, propose son aide de façon concrète et essaie de comprendre la réalité de l’autre. J’aimerais que les gens appuient les revendications des autres, mêmes s’ils n’ont pas un profit au bout du bâton, juste par altruisme. Il me semble aussi qu’on pourrait être tellement plus fort ensemble!
Que la personne vive avec une déficience intellectuelle, l’autisme, une déficience physique, un trouble de santé mentale ou une maladie grave, l’important, n’est pas sa condition, c’est qu’elle est une personne d’abord et avant tout.
Trop souvent, les gens vivent de l’exclusion, de la pauvreté, de l’isolement, de l’incompréhension… Il n’y a pas une recette miracle, mais il y a des solutions qui peuvent surgir avec de la volonté collective. Nous avons les moyens d’enrayer les obstacles vécus par plusieurs en visant une accessibilité universelle, que nous ayons des besoins particuliers ou pas. L’individualité tire trop souvent sur la couverture, mais je crois que si on met nos forces ensemble, si une communauté entière se mobilise, on peut arriver à favoriser la participation et l’inclusion sociale de chacun.
Peut-être qu’en changeant de point de vue, on pourrait grandir et apprendre. Seul on va plus vite, ensemble, on va plus loin.
À la maison, au quotidien, qu’est-ce que ça implique de vivre avec une grande fille porteuse d’un chromosome supplémentaire? Avez-vous de l’aide? Des services? Et à l’école? Il y a des adaptations?
Charlie est une enfant parfaite pour mon conjoint et moi.
Toute la famille adore le camping et nous voyageons en Westfalia l’été, ce qui devient notre petite maison portative et permet à Charlie d’avoir la stabilité dont elle a besoin. En nature, elle est au paradis. Elle a une grande imagination et créativité, ce qui fait qu’elle s’amuse très bien toute seule et qu’elle s’exprime beaucoup par l’art, la musique et la chanson, mais ça peut aussi provoquer des cauchemars parfois… Ma fille est curieuse, très curieuse. Elle pose un nombre incalculable de questions et on doit la surveiller parfois, parce que les silences, c’est signe de productivité!
C’est étonnant les recettes qu’elle peut inventer, les bolides de course qu’elle peut construire avec mon panier à linge vidé ou les œuvres murales non-autorisées qu’elle peut peindre à l’acrylique en si peu de temps…
Notre fille a besoin d’une présence constante, mais nous travaillons pour développer son autonomie. Aucune crainte pour son autodétermination par contre! Elle est déjà partie explorer le quartier toute seule, j’ai pensé mourir à ce moment. C’est la police qu’il l’a retrouvé.
Quelle est la plus grande qualité de ta fille? Celle qui la rend vraiment unique à tes yeux?
Elle est lumineuse. Vivre avec ma Charlie d’Amériques, c’est le bonheur de ma vie.
J’aime profondément ma fille et j’adore l’observer. Elle est ma muse. J’ai toujours envie de la dessiner, de me laisser inspirer par ses gestes, ses réflexions, ses paroles. J’immortalise sur papier tous les petits moments de vie incroyable qu’elle me fait vivre.
C’est tellement beau, humain, mais surtout, ça me fait voir les choses différemment, avec ses yeux à elle.
Elle me fait prendre d’autre perspective, me rappelle ce que j’ai oublié de l’enfance à l’âge adulte. Charlie fait ressortir le magnifique de toute chose. Elle déborde d’imagination et elle est d’une authenticité renversante.
Des services et de l’aide, mais surtout de l’écoute et de la bienveillance
Nous bénéficions d’un suivi d’une éducatrice spécialisée une fois par mois et elle a des services d’orthophonie dans le cadre de la classe d’adaptation qu’elle fréquente dont nous sommes très satisfaits.
Nous avons appris à composer avec les besoins de notre fille. Elle est hypersensible entre autre, ce qui fait qu’elle n’aime pas le bruit, les néons qui clignotent au supermarché, les gens qui entre dans sa bulle trop rapidement et qui force la conversation. Les rassemblements, on oublie ça. Même en famille élargie c’est souvent beaucoup trop pour elle.
Charlie nous a appris comment elle fonctionnait, tout simplement. Aujourd’hui, on choisit nos batailles et surtout, nous l’impliquons dans la prise de décision. Des fois, on l’a fait garder, d’autre, elle vient avec nous, tout dépendant de la sortie.
J’ai compris que Charlie fonctionne à sa façon à elle et nous la respectons là-dedans, même si on aime bien pousser plus loin, un petit peu à la fois.
Nous sommes plus assumés maintenant, nous l’expliquons à notre entourage ou à de nouvelles personnes au besoin. D’ailleurs, les deux meilleurs conseils que j’ai eus sont : Un jour à la fois et ne compare ton enfant qu’à lui-même. J’aurais aussi le goût d’ajouter de mon propre cru, ton enfant ne t’appartient pas!
Chez-vous, une journée typique, ça a l’air de quoi?
Eh bien, chaque jour est une nouvelle aventure!
Il faut se lever tôt pour faire toutes les étapes, parce que si je presse trop Charlie, le départ va être difficile.
Un coup à l’école, ça va généralement très bien, elle adore son enseignante, qui est l’une des meilleures que je n’ai jamais connues.
Charlie va en classe de retard de développement avec 9 autres camarades qu’elle adore. Il y a aussi une éducatrice spécialisée vraiment géniale en classe. Elle a besoin de cet encadrement. Elle est de plus en plus autonome, mais elle a besoin de soutien pour certains points, comme les apprentissages entre autres. D’ailleurs, elle a de grandes difficultés au niveau de la motricité, fine et globale. Elle a un portable en classe pour écrire.
Choisir le chemin qui convient aux besoins de son enfant
Auparavant, elle était en classe régulière, pour deux maternelles et la première année, mais elle voulait toujours être seule avec son accompagnatrice.
Maintenant, ça fait 4 ans que Charlie fréquente cette école régulière avec des classes d’adaptation et ça l’a beaucoup aidé, tant au niveau de l’autonomie que des apprentissages. Elle apprend et se développe à son rythme à elle, mais surtout, elle est respectée et valorisée, ce qui est très important pour nous.
Ensuite, son père va la chercher à l’école, c’est les devoirs, puis lorsque j’arrive, après qu’ils aient mangé n’importe quoi en mon absence, je prépare le repas en tenant compte des nombreuses rigidités alimentaires de Charlie, puis elle joue, elle écoute ses émissions et c’est la routine, habituelle du soir qui se termine par le coucher et son incontournable histoire.
Et le beau. Qu’est-ce que la trisomie 21 t’a appris de beau? Est-ce qu’elle a amené quelque chose de bien pour toi? Pour ta famille?
Je crois qu’en tant que couple, famille, nous sommes plus sensibles à l’autre, plus ouvert.
Il y a une fibre qui s’est développer, celle de l’empathie, mais aussi de l’indignation. Les injustices, les personnes marginalisées, l’exclusion, le jugement, ça vient nous chercher.
Nous désirons faire notre part au quotidien pour atténuer ces inégalités.
Je pense que nous nous sommes décollés de notre propre nombril et qu’on essaie davantage de se mettre dans la peau de l’autre avant de porter un jugement.
Je crois que la trisomie m’a ouvert les yeux sur la vie tout court, et que la naissance de ma fille m’a permis de me rapprocher des autres, mais aussi de moi-même. J’ai le goût d’apporter ma contribution à ma communauté, d’aider, de construire comme jamais.
Avant d’être une maman, tu étais une femme. Est-ce que tu prends le temps de prendre soin de toi au quotidien? Comment?
J’essaie du mieux que je peux. Encore là, ça dépend de chacun cette notion de prendre soin de soi, mais pour moi, ça commence avec être indulgente envers moi-même et m’aimer comme je suis, sans tomber dans la comparaison.
Je te dirais que la quarantaine aide.
Pour prendre soin de moi, ça commence par m’écouter, faire ce que j’ai envie, donc des fois, ne rien faire, flâner, dessiner, lire un livre, d’écouter un film au cinéma avec une tonne de popcorn, faire un projet, un camping ou des vacances avec ma fille et mon amoureux, cuisiner.
J’aime aussi me sentir libre, partir avec une amie pour souper, sortir voir une pièce de théâtre, aller dans un chalet ou à un festival de musique avec des amis sans enfant, la belle vie quoi.
J’ai toujours pensé qu’un parent heureux fait des enfants heureux!
Et si je te laissais le mot de la fin?
Merci de m’avoir donné le privilège de m’exprimer, je serais heureuse si ça pouvait aider quelqu’un. Merci aussi pour le merveilleux travail que tu fais. Tu es une femme inspirante qui cherche à faire ressortir le meilleur des gens avec ouverture et bienveillance et ça, ça me touche droit au cœur! Longue vie à Atypiquement parfaite!
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